Publié par afpspau le Novembre 18, 2010 –  http://afpspau.wordpress.com/2010/11/18/carnet-de-route-en-cisjordanie/

Mercredi 20 octobre soir, nous établissons notre « camp de base » à Toubas dans le nord de la Cisjordanie. Pour y aller depuis Jérusalem il faut plus de 3h1/2 de bus avec le passage du fameux check point de Qualandia à l’entrée de Ramallah où on change de bus vers Naplouse avec un check point à l’entrée et à la sortie. Nouveau changement pour arriver à Tubas. Il n’y a pourtant que 70 km à faire. Nous sommes un groupe de membres de l’AFPS accompagné d’élus de la Loire Atlantique venus se rendre compte par eux-mêmes de la situation dans les territoires occupés. But de notre mission : 3 jours pour voir ce que nous pourrons mettre en place pour aider les Palestiniens de la vallée du Jourdain à rester sur leur terre. Nous sommes reçus par l’ONG palestinienne « Save The Jordan Valley » et son responsable Fathy Khdairat.

Le lendemain matin nous quittons Tubas pour la vallée, il fait très chaud et comme nous allons descendre de 350 mètres d’altitude à – 300 mètres (altitude moyenne de la vallée) la chaleur va encore augmenter dans la journée pour atteindre les 40° à l’ombre. La route descend à travers des villages et des canyons beaux à couper le souffle, face à la Jordanie, mais la réalité nous rattrape rapidement sous la forme d’un check point. Nous entrons en zone « C »(1) qui est ici une zone déclarée par l’occupant comme zone militaire. La colonisation de la Cisjordanie suit toujours le même schéma, d’abord la zone est occupée par les soldats qui cèdent la place au bout d’un certain temps aux colons. Ceci est vérifiable partout comme j’ai pu le faire l’année dernière à Hébron dans le sud. Sauf que, …ici, la vallée du Jourdain, presque entièrement en zone C, représente à elle seule le tiers de la Cisjordanie.

Le check point

La vallée du Jourdain est entièrement fermée par des check points quelle que soit la route que vous empruntez pour y entrer. Notre minibus s’arrête à 100 mètres du contrôle, tous les passagers en descendent et le chauffeur attend qu’on lui fasse signe d’avancer. Cela dépend de la bonne volonté des militaires et peut durer longtemps.

Les piétons vont au contrôle, pour nous internationaux, des passeports, pour les Palestiniens de leur laissez-passer. Ça peut aussi durer longtemps. Ensuite on remonte dans le minibus. Interdiction bien sûr de prendre des photos. On le fait discrètement quand même…Au poste de contrôle, quand on demande la raison du check point, les jeunes militaires répondent : « parce que vous entrez en Israël ». Ils ont 19 ans, ils sont armés des derniers modèles de fusils, ils sont sûrs de leur force et nous sommes persuadés que leur (désin)formation leur a appris qu’à cet endroit ils sont chez eux, ils n’ont donc aucun état d’âme.

L’occupation

Alors qu’en 1967 il y avait 300.000 Palestiniens dans la vallée, il n’en reste aujourd’hui que 56.000, dont 70% vit à Jéricho l’enclave du sud en zone A, près de la Mer Morte. La cause : la colonisation, les arrestations, les destructions, le rationnement en eau. Les colons sont au nombre de 6.400, regroupés dans des colonies, protégés par des soldats qui occupent tous les sommets. Il y même une yeshiva, école talmudique qui forme les ultra religieux les plus extrémistes. Les Palestiniens ont été spoliés sans arrêt depuis 1967 : ils n’ont plus que 45 km² sur les 2400 km² de la vallée et ce n’est pas fini comme on s’en apercevra plus loin.

Les occupants ont volés les meilleures terres naturellement et offrent aux Palestiniens de travailler dans leur plantation au prix d’un salaire dérisoire. La main d’œuvre n’étant pas suffisante, ce sont des travailleurs émigrés venus en partie de l’Extrême Orient qui viennent faire le travail.

En entrant dans la vallée, de notre bus, nous voyons une belle palmeraie (de palmiers dattiers) d’environ 10 dunum (1 hectare) : notre guide nous explique qu’elle appartient aux colons et qu’elle leur a été offerte par les chrétiens évangélistes sionistes américains.

Dans le cadre des « pourparlers » pour la paix, les Israéliens ont indiqué que la vallée du Jourdain n’est pas négociable. Il est vrai que presque rien n’est négociable, mais ici on se trouve dans une zone stratégique pour l’occupant : un tampon en l’Occident et l’Orient, officiellement pour pouvoir créer « une frontière défendable pour Israël ». Rappelons juste qu’il est question de plus de 30% de la Cisjordanie et d’une des parties les plus riches. Rappelons aussi que c’est de ce territoire qu’AGREXCO tire la plus grande partie des produits qu’elle vend sous le label « made in Israël ».

Dans la vallée les Palestiniens sédentaires ou les bédouins font brouter leur troupeau dans les collines, sans clôture. Ubuesque, maintenant, les militaires ont créé une prison pour animaux qui se seraient écartés du troupeau et le prix à payer est de 1.000 shekel pour la vache. Le nombre de vaches tuées par les colons est toujours en augmentation.

Le problème de l’eau

Bien entendu dans une zone aussi aride, où il tombe qu’environ 200 mm de pluie par an, où la température moyenne est très élevée (le jour où nous y sommes arrivés la température dépassait les 40) et où le problème de l’eau est crucial. Les Palestiniens n’ont aucun accès au Jourdain, nous mêmes n’avons jamais pu nous en approcher. Il est vrai qu’il n’y a presque plus rien à voir, le Jourdain n’arrive pratiquement plus à la Mer Morte, épuisé par les pompages dans le lac de Tibériade (en Israël) et dans les différentes colonies de la vallée. Je ne citerai qu’un seul exemple qui, je pense, dépasse toutes les abjections qui sont engendrées par la colonisation.

A Bardala, qui se situe tout à fait au nord de la vallée, à la limite même d’Israël, il y avait un puits juste au milieu du village pour alimenter et irriguer tout le monde. Un jour les Israéliens sont arrivés, ils ont volé le puits, mis un grillage tout autour, et changé les pompes pour pouvoir débiter 10 fois plus d’eau. Pour qu’on le reconnaisse bien, ils ont peint tout leur équipement en blanc et bleu  (couleur du drapeau). Et ils ont proposé aux Palestiniens du village de leur vendre de l’eau,…de leur vendre leur eau, naturellement aux conditions de l’occupant. C’est la compagnie nationale israélienne qui gère tout cela. L’eau est facturée 5 fois plus cher pour un Palestinien et elle est rationnée. Ce qui fait dire aux Palestiniens qu’ils entendent leur eau qui s’écoule dans les canalisations, mais qu’ils ne peuvent pas en bénéficier …en plein milieu de leur village.

Les ordres de démolitions

Nous savons que la démolition de maisons est un des moyens employés par les occupants pour vider le territoire de ses habitants originels et prendre leur place. C’est vrai à Jérusalem, c’est aussi vrai en zone C de la Cisjordanie et même de la zone B comme à Bardala.

A Al Farisiya nous visitons ce qu’il reste des démolitions dans le village. Le village a été saccagé 2 fois au mois de juillet dernier par les militaires israéliens, mais les Palestiniens sont revenus. Les paysans ont replanté des champs de poivrons, courgettes et aubergines. La terre est de première qualité. Avec l’aide internationale, ils ont reconstruit un système d’irrigation en achetant de l’eau à des Palestiniens qui possèdent encore des puits et…le résultat nous paraît miraculeux. Les Palestiniens maîtrisent les économies d’eau et connaissent parfaitement le goûte à goûte.

A Bardala nous visitons une famille réfugiée de 1948, nous sommes accueillis par un couple assez âgé (l’homme est quasiment aveugle) qui nous montre l’ordre de démolition de leur maison (en zone B) sous le prétexte qu’ils n’ont pas d’acte de propriété. La démolition est à leur frais et s’ils ne le font pas eux-mêmes, la démolition commandée par l’autorité occupante leur sera facturée. Plus bas dans le village nous voyons une autre famille confrontée au même problème. A chaque fois nous sommes bien accueillis et ils nous demandent de faire connaître leur sort.

Reconstruction du système d’irrigation par les internationaux (extrait du livre « to exist to resist)

L’organisation de la résistance

« To exist is to résist » est la devise de la résistance. Les ONG présentes dans la vallée qu’elles soient composées d’internationaux comme les Norvégiens de MA’AN ou Palestiniennes regroupées dans les « Jordan Valley Popular Committees » dont fait partie « The Jordan Valley Solidarity » n’ont qu’une seule volonté : faire que les Palestiniens restent dans leur vallée.

En particulier par la reconstruction de maisons d’écoles et de dispensaires comme nous le propose nos hôtes qui participent activement en remettant au goût du jour les constructions en pisé (construction en terre mélangée de paille).

A Al-Jiftlik l’association possède une maison entièrement refaite par ce moyen et là, pendant 3 jours, nous allons aider les Palestiniens à faire des briques de terre argileuse. Ces briques serviront à la reconstruction dans toute la vallée. Le travail est pénible par 40°, mais l’ambiance est bonne et joyeuse.

Mais les soldats israéliens ne sont jamais loin et ils ont émis un ordre de démolition sur la maison. Pourtant…. elle est classée au patrimoine mondial de l’Unesco car c’est un des rares exemples une de ces maisons encore intacte dans vallée. Peut-être résistera-t-elle à la maladie « destructrice » des occupants ?

Mépris

Au fait, savez-vous que la route 90 qui traverse la vallée du nord au sud en venant d’Israël est appelée la route Gandhi par les Israéliens. Gandhi était le surnom donné à Rehavam Ze’evi (2), le ministre du tourisme israélien membre d’un groupe d’extrême droite qui voulait rejeter vers la Jordanie tous les paysans palestiniens de la vallée. Navrant et sans retenue…et sûr que Gandhi n’aurait pas apprécié.

1- Depuis les accords d’Oslo, la Cisjordanie est divisée en 3 zones :

  • zone A : sous la responsabilité administrative et militaire de l’autorité palestinienne
  • zone B : sous la responsabilité administrative de l’autorité palestinienne et militaire des Israéliens,
  • zone C : responsabilité totale des Israéliens (environ 60% de la Palestine 1967).

2- Ze’evi a été tué par un commando du FPLP en 2001, ce qui vaut à Ahmad Saâdat (secrétaire du FPLP) une peine de prison de 30 ans en tant que « commanditaire » de l’exécution de Ze’evi.

La suite du séjour dans la vallée pour certains (moi je devais rentrer en France) a été épique. Ils ont affronté les colons de la vallée et les soldats toujours complices dans ces cas. Voici le récit de Martine de l’AFPS Nantes sur la suite des événements :

Dimanche 24 octobre

Thérèse, M Annick, Solange, Martine (Jean Marc et Yves doivent rentrer en France) > check point Hamra > maison d’Al Jiftlik : pas de briques aujourd’hui, les palestiniens construisent quelques arches sur le dessus du mur en utilisant des tiges pour les soutenir pendant que ça sèche…

14h : alors que nous allions partir visiter l’école et le dispensaire construits en briques crues, coup de téléphone de Fathy (3) qui demande si nous sommes d’accord pour partir chez des éleveurs en face de la colonie de Massu’a.

Des colons sont arrivés avec la police et l’armée. Rachid nous dépose (les 5) en face du campement et nous passons devant les soldats pour rejoindre les palestiniens à l’entrée du campement.

A notre arrivée il y 3 voitures de colons, 1 véhicule de police et 3 véhicules militaires.

Ils ont déjà reçu un ordre d’expulsion. Un des chefs de famille a déjà donné sa carte d’identité et s’attend à être emmené par la police ou l’armée.

Nous faisons des photos qui seront très appréciées par l’avocat qui arrive plus tard avec Fathy. Les soldats nous mitraillent aussi en retour.

Pendant plusieurs heures c’est des va et vient des colons et conciliabules avec la police et les soldats. Les chefs de famille demandent aux jeunes palestiniens de se retirer au fond du camp pour éviter qu’ils soient arrêtés si çà tourne mal.

Lorsque la nuit tombe les colons et la police finissent par partir.

Nous sommes invitées à pénétrer dans le camp, puis à manger. Ils nous expliquent qu’ils ne sont pas bédouins mais originaires d’Hébron, venus s’installer là…Actuellement 4 familles regroupent 150 personnes et environ 2000 bêtes (moutons et chèvres) + volailles. Après 1967, les colons sont venus s’installer en face, de l’autre côté de la route en prenant progressivement de plus en plus de terre. Il y a 5 ans ils ont traversé la route et ont installé des serres jusqu’à 10 m en face du campement.

Pour leur consommation et surtout celle des bêtes, ils doivent tous les jours aller chercher une citerne d’eau dans un village palestinien ce qui leur prend 2h30, leur coûte du gasoil en plus du prix élevé de l’eau et leur fait à chaque fois courir le risque d’être refoulé au check point, alors que tout autour les terres cultivées par les colons sont irriguées et que sur l’image google on peut voir la piscine

Ils nous demandent de rester pour la nuit.

Nous passons la nuit à la belle étoile, avec le chant permanent des nombreux coqs (c’est la pleine lune) sous la bonne garde de la femme du chef de famille. Les palestiniens montent la garde à l’entrée du camp. Les colons passent toutes les demi-heures en 4×4 équipés de projecteurs braqués sur le camp et en lançant de temps en temps quelques pierres au cas où çà déclenche une réaction …

A 4h du matin comme tous les jours les palestiniens se lèvent pour s’occuper des bêtes. Des agneaux encore mouillés sont présentés à leur mère pour qu’elles les allaitent. La vie continue ….

Après le petit déjeuner nous partons.

Des militants d’autres associations vont nous remplacer et demain ce sera Camille, Bernard, Philippe, Didier de l’AFPS Nantes, puis d’autres encore mais qui n’empêcheront pas la mise en place du grillage.

3-Fathy Khdairat, responsable de Jordan Valley Solidarity.

Récit de Yves GOAËR