Dans le conflit israélo-palestinien, l’eau semble à la fois un enjeu important et un dommage collatéral. Les politiques hydriques israéliennes dans les Territoires Palestiniens Occupés et le conflit entraînent des impacts nuisibles sur les ressources en eau partagées et ne font qu’exacerber les hostilités.

Les Territoires Palestiniens comportent cinq sources principales d’eau : en Cisjordanie, le fleuve du Jourdain en surface et trois nappes phréatiques ; dans la bande de Gaza, la nappe côtière. Or, depuis l’occupation de la Cisjordanie par l’armée israélienne à l’issue de la guerre des Six Jours en 1967, les Palestiniens ne peuvent plus accéder au fleuve du Jourdain. Pour satisfaire leurs besoins en eau, ils disposent uniquement d’une quantité limitée provenant des nappes phréatiques et des sources, de la collecte des eaux de pluie grâce à des réservoirs sur les toits des habitations, des eaux usées recyclées sans traitement et des camions-citernes venant d’Israël. À l’inverse, les Israéliens sont les uniques utilisateurs du fleuve du Jourdain et les principaux exploitants des nappes phréatiques cisjordaniennes.

En effet, les Palestiniens ne disposent que de 20% des nappes phréatiques en Cisjordanie [1], qui se trouvent sur des terres contrôlées actuellement à la fois par Israël et par l’Autorité Palestinienne. L’État israélien puise l’eau des nappes phréatiques à travers des puits localisés dans les Territoires Palestiniens et le long de la ligne verte (frontières internationalement reconnues d’Israël datant de l’armistice de 1949). En raison du sens de l’écoulement des eaux des nappes phréatiques cisjordaniennes et gaziote [2], Israël a décidé de contrôler l’exploitation de ces eaux en amont et donc de limiter la construction des puits par les Palestiniens.

Dès 1949, l’État hébreu a commencé à réduire le développement des puits en Cisjordanie, alors sous administration jordanienne, et à intensifier son exploitation des ressources hydriques [3]. Immédiatement après la guerre des Six Jours en 1967 [4], l’armée israélienne a détruit 140 pompes hydriques palestiniennes dans la vallée du Jourdain. Les terres et les fermes des Palestiniens situées le long de la rive occidentale du fleuve du Jourdain ont été confisquées, leurs habitants ont été empêchés d’y retourner et la région déclarée zone de sécurité militaire [5].

Peu de temps après l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, l’armée israélienne a imposé de nombreuses ordonnances militaires portant sur le contrôle de l’eau. Notamment, l’ordonnance n°92, datant d’août 1967, a fait en sorte que l’eau dans les Territoires Occupés soit considérée comme « ressources stratégiques sous contrôle militaire » [6]. D’autres ordonnances militaires ont mis en place de nombreuses restrictions visant les Palestiniens [7] : interdiction de forer de nouveaux puits sans l’autorisation préalable des autorités militaires, expropriation de puits et de sources appartenant à des Palestiniens dits absents, fixation de quotas de prélèvement et mise en place de mécanismes pour contrôler l’exploitation palestinienne de l’eau, amendes sanctionnant sévèrement les dépassements des quotas, etc.

 

Un contrôle israélien total sur l’eau des territoires palestiniens

L’ordonnance militaire n°158 du 30 octobre 1967 « interdit à quiconque de mettre en œuvre ou détenir des installations hydrauliques sans avoir préalablement obtenu une autorisation auprès du commandement militaire » [8]. Depuis, les commandants militaires israéliens peuvent refuser d’accorder un permis d’infrastructure hydraulique à un Palestinien dans les Territoires Occupés sans justifier leur décision et le traitement d’une telle requête peut prendre un an [9]. De plus, les Palestiniens peuvent seulement creuser jusqu’à 140 mètres. À l’inverse, les puits des colons peuvent avoir une profondeur de 800 mètres, et utilisent l’épaisseur entière des nappes phréatiques. Ils sont ainsi plus efficaces et plus puissants [10]. Entre 1967 et 1996, seulement 34 permis domestiques ont été accordés aux Palestiniens. Très peu d’autorisations ont vu le jour depuis. De même, trois permis agricoles ont été accordés depuis 1967. Ces ordonnances militaires ont été suivies de nombreuses autres jusqu’en 1991, aboutissant à un contrôle israélien complet sur les ressources hydriques situées dans les Territoires Palestiniens [11].

Le mur de séparation construit par l’État hébreu dans les Territoires Palestiniens permet également de contrôler l’accès aux eaux souterraines. En confisquant ou en isolant des terres et des propriétés, ce mur entraîne une destruction des puits ainsi que des infrastructures et empêche l’accès des Palestiniens au fleuve du Jourdain [12].

Toutes ces mesures de contrôle de l’exploitation de l’eau en amont permettent de maintenir l’écoulement d’eau vers les puits israéliens situés le long de la ligne verte et vers les autres points d’extraction dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.

Quant au système de distribution d’eau des Palestiniens, il est connecté à celui des colonies israéliennes depuis l’occupation de la Cisjordanie en 1967. En fait, que ce soit en Cisjordanie ou dans la Bande de Gaza, les Palestiniens sont approvisionnés de manière intermittente, à raison de deux fois par semaine, pendant une durée de deux à trois heures. Pendant les pénuries hydriques, par exemple lors des sécheresses, l’opérateur israélien arrête l’approvisionnement palestinien, mais pas celui des colonies [13]. Par ailleurs, les conduits qui approvisionnent ces dernières sont de diamètre beaucoup plus important et leurs réservoirs plus grands que les conduits et les réservoirs cisjordaniens et gaziotes [14].

 

L’eau, un dommage collatéral

Conséquence des politiques hydriques israéliennes, les colons consomment quatre à six fois plus d’eau que les Palestiniens dans les Territoires Occupés [15]. Non seulement y a discrimination entre colons et palestiniens au sujet de la consommation en eau, mais il y aussi discrimination en ce qui concerne la facturation. En raison de subventions et de tarifs agricoles avantageux, les colons paient trois à cinq fois moins cher l’eau que les Palestiniens, selon l’usage, domestique ou agricole [16]. Cette différence de facturation est rendue possible par la facturation des colonies par Mekorot, la compagnie d’eau israélienne, tandis que les Palestiniens paient l’eau à leur Département d’Eau.

Le conflit et l’occupation de la Cisjordanie contribuent à dégrader des ressources en eau partagées, dont ont grand besoin Israéliens et Palestiniens, qui se trouvent tous deux en situation critique de stress hydrique. Le dense réseau de puits mis en place par les Israéliens le long de la ligne verte et à l’intérieur de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza est si profond et puissant qu’il génère non seulement un assèchement des sources et des puits palestiniens à proximité, mais aussi une baisse de la qualité de l’eau. En 2007, les trois nappes cisjordaniennes étaient déjà surexploitées, à 25% pour les bassins Oriental et du Nord-Est et à 75% pour l’aquifère Occidental. Quant à l’aquifère de Gaza, il est d’ores et déjà infiltré par l’eau de mer et très pollué par les nitrates.

À la fois les Palestiniens et les colons déversent une grande partie de leurs eaux usées et de leurs déchets sans traitement dans la nature, générant une pollution des eaux souterraines partagées. À cause de la situation de conflit, la plupart des projets de coopération internationale visant à mettre en place des infrastructures hydrauliques ont été suspendus ou annulés. Dans le cas des projets de traitement des eaux usées, par exemple, les difficultés de mise en place sont liées notamment à la restriction de la capacité de mouvement des experts et de l’équipement, à l’absence de coordination entre toutes les parties prenantes, au manque de coopération des autorités militaires israéliennes, à la faiblesse des institutions palestiniennes et à la volonté des pays donateurs de suspendre les travaux jusqu’à ce que le conflit soit terminé, pour éviter des coûts supplémentaires [17].

Surtout, le conflit et l’occupation affectent beaucoup la qualité et la quantité de l’eau dont disposent les Palestiniens.

Depuis 1967, les infrastructures hydrauliques en Cisjordanie se sont détériorées et ont très peu été remplacées. Par conséquent, le service de distribution d’eau est inefficace et peu fiable puisqu’il comporte 25 à 40% de fuites [18]. En outre, l’intermittence du système de distribution palestinien provoque une dégradation de la qualité de l’eau, alors que les colonies israéliennes sont approvisionnées de manière continue, avec une eau de bonne qualité. L’eau, un enjeu majeur du conflit israélo-palestinien Plusieurs villages palestiniens ne sont mêmes pas raccordés au système de distribution d’eau et sont très dépendants des camions-citernes et des pluies. C’est le cas pour 20% de la population en Cisjordanie selon B’Tselem, le Centre Israélien d’Information sur Les Droits Humains dans les Territoires Occupés. Or, la qualité de l’eau acheminée par camions-citernes est altérée par les longues attentes aux barrages militaires israéliens et par

les grands trajets occasionnés par les routes de contournement, résultat notamment du mur de séparation. Force est donc de constater que la question de l’eau est étroitement liée au conflit israélo-palestinien, puisqu’elle constitue un enjeu important de ce dernier, tout en étant affectée par lui. D’ailleurs, en raison d’une grande sécheresse en 2008, les Palestiniens en Cisjordanie ont épuisé toutes leurs réserves, à la suite d’un manque de pluie et de la réduction de l’approvisionnement par les Israéliens de 20 à 30% [19].

Selon les chercheurs canadiens Arsenault et Green, l’État hébreu ne compte pas se retirer de certaines parties des Territoires Palestiniens afin de conserver l’accès à l’eau, malgré le coût économique et politique de l’occupation(20).

Les grandes colonies en Cisjordanie auraient été implantées de manière à pouvoir contrôler l’exploitation de l’eau. Or, les Palestiniens ont conscience du rôle joué par les ressources hydriques dans l’occupation. Les politiques hydriques de l’État hébreu contribuent à renforcer le sentiment de spoliation et d’injustice des Palestiniens et ne font qu’exacerber le conflit déjà existant. L’eau, étroitement liée à l’agriculture et très présente dans les textes religieux, touche aussi à l’attachement à la terre et est intrinsèquement identitaire et symbolique aux yeux des Palestiniens et des Israéliens.

La question du contrôle de l’eau doit donc impérativement être prise en compte dans la résolution du conflit. Grande absente des négociations, elle ne pourra être réglée que par une entente politique équitable attribuant des droits aux Palestiniens en matière de terre et d’eau et par une coopération israélo-palestinienne autour de la gestion des ressources. Le règlement de cette dispute hydro-politique devra faire appel à des solutions technico-commerciales, telles que le dessalement, la mise en place d’un marché de l’eau, le recyclage des eaux usées, une nouvelle politique de prix reflétant le coût réel de l’eau, etc. En particulier, des interventions éducatives, au travers de projets concrets réunissant Palestiniens et Israéliens, permettraient de créer un dialogue autour de l’eau, d’apprendre à coopérer et à échanger, voire à percevoir l’autre camp différemment. Certains chercheurs et certaines ONG l’ont compris avant l’heure. À titre d’exemple, l’ONG israélo-jordano-palestinienne Friends of the Earth Middle East, s’est donnée pour mission de promouvoir au Moyen-Orient à la fois la paix et la protection de l’environnement, inextricablement liées aux yeux de l’organisation, et met en place des projets en ce sens. Seulement, pour assurer l’efficacité de telles interventions éducatives, un changement structurel et une entente politique sont indispensables au préalable.

Les Israéliens et les Palestiniens partagent le même environnement, des ressources hydriques et des problèmes environnementaux similaires, en particulier le manque d’eau. La construction d’un dialogue autour de l’environnement et la mise en place de projets véritablement partagés et collaboratifs pourrait contribuer à une entente politique, et s’avèrent à tout le moins nécessaires à la préservation des eaux souterraines, dont la dégradation supplémentaire ne fait qu’aggraver le conflit existant.

Nayla Naoufal, le 4 novembre 2009

Publié par Alternatives http://www.alternatives.ca/

 

LES PALESTINIENS PRIVÉS D’EAU…

Dans un rapport, Amnesty international dénonce l’accaparement des ressources d’eau par Israël au détriment des Palestiniens. 200 000 Palestiniens n’ont pas accès à l’eau courante alors que les colons israéliens l’utilise sans restriction. Certaines colonies, véritables petits oasis, ont des piscines et pelouses bien arrosées alors que, juste à côté, les villages palestiniens manquent cruellement d’eau pour cultiver leurs terres et doivent être ravitaillés en eau potable par des camions citernes. La consommation moyenne est de 70 litres par jour pour les Palestiniens (le minimum recommandé par l’OMS est de 100 litres) et de 300 litres pour les Israéliens. À Gaza, les nappes aquifères sont contaminées à 90% par les eaux usées et les équipements ne peuvent être réparés à cause du blocus imposé par Israël. Le gouvernement d’Israël, en déclarant que l’usage de l’eau est lié à un futur accord de paix, reconnaît implicitement qu’il utilise sciemment cette arme contre les Palestiniens.

 

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 29 (05/11/09).

 

[1] Lasserre, F. (2002b). Les eaux de la Terre sainte Le bassin du Jourdain au coeur de vives convoitises. In Lasserre, F. et Descroix, L. (ed) : Eaux et territoires Tensions, coopération et géopolitique de l’eau (p. 211-228). Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec, p. 224

[2] Quelques 90% des aires de recharge des aquifères (où les pluies s’infiltrent principalement et s’accumulent sous terre) sont situées en Cisjordanie. Les eaux des aquifères du Nord-Est et Occidental s’écoulent vers des aires situées en dehors de la Cisjordanie, en Israël. Quant à l’aquifère Oriental, le flux de ses eaux est dirigé vers la Vallée du Jourdain et la Mer Morte.

[3] ALIEWI, A. et ASSAF, K. (2007). Shared management of Palestinian and Israeli groundwater resources : a critical analysis. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 17-32). Berlin : Springer, p. 17.

[4] Cette guerre entre l’État hébreu et les pays arabes limitrophes modifie profondément les frontières : Israël quadruple la superficie de son territoire et occupe la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem Est, le Sinaï égyptien (qui sera rendu à l’Égypte lors du traité de paix israélo-égyptien en 1979), le plateau syrien du Golan et le Sud Liban (d’où Israël s’est retiré en 2000 en conservant toutefois les fermes de Chebaa). Parmi les 250 000 Palestiniens de Cisjordanie qui se sont réfugiés en Jordanie en juin 1967, seuls quelques milliers seront autorisés à revenir.

[5] HADDAD, M. (2007). Politics and water management : a Palestinian perspective. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 40-52). Berlin : Springer, p. 44.

[6] Ibid

[7] SIRONNEAU, J. (1996). L’eau : nouvel enjeu stratégique mondial. Paris : Economica, p. 74.

[8] Ibid

[9] op. cit. Haddad, M. (2007) p. 44 et 46.

[10] BOVET, P., REKACEWICZ, P., SINAÏ, A. et VIDAL, D. (2007). L’atlas environnement du Monde Diplomatique. Ivry : Le Monde Diplomatique, p. 26.

[11] op. cit. Haddad, M. (2007) p. 44.

[12] VADROT, C.-M. (2005). Guerres et environnement Panorama des paysages et des écosystèmes bouleversés. Paris : Delachaux et Niestlé, p.102.

[13] ALIEWI, A. et ASSAF, K. (2007). Shared management of Palestinian and Israeli groundwater resources : a critical analysis. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 17-32). Berlin : Springer, p. 20.

[14] SELBY, J. (2007). Joint mismanagement : reappraising the Oslo water regime. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 203-212). Berlin : Springer.

[15] op. cit. ALIEWI, A. et ASSAF, K. (2007) p. 19.

[16] op. cit. Sironneau, J. (1996) p. 75.

[17] TAGAR, Z., KEINAN, T. et BROMBERG, G. (2007). A seeping timebomb : Pollution of the mountain aquifer by sewage. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 417-426). Berlin : Springer.

[18] op. cit. ALIEWI, A. et ASSAF, K. (2007) p. 29.

[19] BOLE-RICHARD, Michel. La crise de l’eau s’accentue en Israël et frappe durement les Palestiniens. Le Monde, 17 août 2008.ARSENAULT, D. et GREEN, J. (2007). Effet of the separation barrier on the viability of a future Palestinian state. In Shuval, H. et Dweik, H. (ed) : Israeli-Palestinian water issues – from conflit to cooperation (p. 273-282). Berlin : Springer.