Après la guerre de 1967, Israël a annexé 900 hectares de terres du village de Frouch Beit Dejin. Privés d’eau au profit des colonies, les paysans bataillent pour survivre.

Le soleil darde ses derniers rayons sur la vallée du Jourdain qui s’étend sur une centaine kilomètres, dont 80 en Cisjordanie, depuis le lac de Tibériade, au nord, jusqu’à la mer Morte, au sud, bordée à l’est par la Jordanie et à l’ouest par Israël et la Cisjordanie. Frouch Beit Dejin est un petit village du nord de cette vallée. Les premiers Palestiniens du village sont venus s’établir dans ces montagnes en 1920.

En 1967, au cours de la guerre des Six Jours, cette région, autrefois en Transjordanie, est passée sous contrôle israélien. Les terres de Frouch Beit Dejin s’étendaient sur 12 000 dunums (1 200 ha) avant 1967. « L’État hébreu nous a confisqué 9 000 dunums pour établir deux colonies, Hamra et Mekhora », explique Khader Hamad Abou Hanish, représentant du conseil du village qui compte 2 000 habitants.

Depuis les accords d’Oslo, Frouch Beit Dejin est passé en zone C, sous contrôle administratif et militaire israélien. Conséquence : si les habitants veulent construire, ou agrandir leur maison, ou même creuser un nouveau puits, il leur faut un permis délivré par les Israéliens. « Nous ne l’obtenons jamais », poursuit Khader Hamad Abou Hanish. Et de citer l’exemple de cet habitant qui a rajouté des toilettes à l’extérieur de sa maison, sans permis. Le lendemain, l’armée a détruit sa petite construction.

L’école est un autre exemple des tracasseries administratives qui paralysent la vie locale. Le village compte 150 élèves, garçons et filles, et 18 enseignants. « Notre ancienne école datait de 1962, le plafond s’est écroulé. En 1987, Israël nous a donné l’autorisation de construire un nouveau bâtiment. Les fondations ont commencé en 1990, en 1991 nous avions deux salles de classe », se souvient Ahmad Salahat, professeur de mathématiques. En 2000, le conseil du village décide d’agrandir les locaux et d’ajouter cinq classes. Mais, faute d’autorisation administrative israélienne, le projet n’a pas abouti. Il a fallu attendre 2002 pour qu’Usaid, l’aide américaine, obtienne le feu vert. Et aujourd’hui, l’école est bien le seul bâtiment en bon état de ce village.

« Nous vivons dans des conditions misérables », se lamente Ahmad Salahat. Les lignes électriques qui alimentent les deux colonies israéliennes passent sur les terres du village, mais celui-ci n’a pas l’électricité. L’école a opté pour des panneaux solaires, insuffisants cependant pour fournir à la fois la lumière et assez d’énergie pour les ventilateurs. Or, la température frôle les 40 °C.

Le jardin de l’école a soif. « L’eau ? Un mot magique dans la vallée du Jourdain », poursuit Khader Hamad Abou Hanish. De l’eau, il y en a dans les réservoirs souterrains, mais les Palestiniens n’ont pas l’autorisation de creuser au-delà de 150 mètres. Akram Abou Jeich cultivait des arbres fruitiers. « J’ai dû arrêter, parce qu’ils demandent trop d’eau. » Cet agriculteur s’est reconverti dans le maraîchage, concombres, tomates, salades sous serres. « Avant, l’eau était gratuite sur nos terres. Maintenant, je dois payer 2,5 shekels (0,50 €) le mètre cube d’eau. » Un rapport publié en mai 2011 par l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem établit qu’Israël a pris le contrôle de la plupart des sources dans la région et les a presque entièrement dérivées au profit des colonies, provoquant l’assèchement de certains puits palestiniens.

La Vallée du Jourdain et le secteur situé au nord de la mer Morte sont un enjeu de taille pour les négociations futures. Elles renferment les plus grandes réserves de terre en Cisjordanie. La zone couvre 1,6 million de dunums, ce qui constitue 28,8 % de la Cisjordanie, et 65 000 Palestiniens y vivent. Neuf mille quatre cents colons se sont installés dans 37 colonies (dont sept avant-postes) où Israël a instauré un régime d’exploitation massive des ressources, note B’Tselem.

L’ONG affirme qu’Israël à l’intention d’annexer de facto la vallée du Jourdain et le nord de la mer Morte. Au cours des dernières années, l’État hébreu aurait exclu la population arabe de 77,5 % de cette vallée, par le biais de diverses décisions administratives, soit le classement en « terrain d’État », soit en « terrain militaire », soit en « réserve naturelle ».

Akram Abou Jeich soutient la démarche de Mahmoud Abbas pour la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU. Mais, comme beaucoup d’habitants du village, il redoute que cela n’entraîne des pressions supplémentaires sur les Palestiniens de la vallée du Jourdain. « En zone C, nous sommes plus vulnérables. »

http://www.la-croix.com/Archives/2011-09-21/La-guerre-de-l-eau-dans-la-vallee-du-Jourdain-_NP_-2011-09-21-714113